L'affaire Salengro. Quand la calomnie tue (L'Histoire comme un roman)

Le 18 novembre 1936, un mercredi, le conseil général de la Seine se réunit en présence du préfet du département et du préfet de police. Le matin, les élus parisiens ont appris, comme tous les Français, le suicide du ministre de l’Intérieur, Roger Salengro, premier membre d’un gouvernement de la République à se supprimer dans l’exercice de ses fonctions. Depuis trois mois, une campagne de presse s’acharnait sur lui. Gringoire, relayé par d’autres journaux, le présentait, à travers les témoignages d’anciens officiers et sous-officiers, comme un déserteur qui, sous prétexte d’aller chercher les effets d’un camarade tué la veille, avait quitté les lignes françaises, sur le front de Champagne, un jour d’octobre 1915, et s’était livré à l’ennemi. Le cabinet Blum abritait un traître !
Le ministre s’était défendu, d’autres témoins étaient venus lui prêter main-forte et le décrire, au contraire, comme un preux combattant, capable de tenir tête aux Allemands et suffisamment généreux pour, dans le froid d’un camp de prisonniers en Prusse, réchauffer le cœur de ses codétenus à la dérive. Tout le monde avait cru pourtant que le gouvernement avait mis un point final à la polémique quand, la semaine précédente, à la faveur d’une interpellation à la Chambre des députés, le président du Conseil avait démonté, pièce à pièce, les arguments des accusateurs. Une plaidoirie magistrale et qui avait porté : il ne s’était trouvé, ce 13 novembre, que 63 députés sur 530 votants pour considérer encore que Roger Salengro avait déserté.